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StreetUrban Art Photography

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Nemo’s

Nemo’s nous donne rendez-vous dans un parking à la première périphérie de Bologne. Dans un effet mirage de l’asphalte chaud du soleil de l’été, nous le reconnaissons grâce aux tâches de peinture sur les vêtements qu’il porte. Nous le remercions pour le temps qu’il nous donne et pour être l’un des artistes qui…

«Je ne veux pas être appelé artiste!»

Pardon?

«Le mot artiste implique un statut supérieur par rapport aux autres. Dans le mot artiste, il y a un statut qui tend souvent et indirectement à pénaliser les autres. L’artiste est élevé à un niveau supérieur: très souvent, les gens vous traitent comme si vous faisiez quelque chose de surhumain. Cela me met mal à l’aise et je n’aime pas beaucoup, parce que je ne me sens pas plus spécial que les autres.»

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© Robby Rent,
Reggio Emilia (ITA), 2016

Tu ne crois pas avoir du talent?
«Je crois que tout le monde a du talent. Chacun de nous a un talent dans quelque chose. Moi, comparé à un autre, j’ai plus de prédisposition pour dessiner, mais – par exemple – je ne suis pas très doué pour la photographie. enfin, par rapport aux compétences artistiques, les autres talents ont moins de valeur dans l’idée générale.»

C’est vrai, mais est-ce qu’il y a eu un moment où tu t’ais dit “je suis talentueux pour dessiner”?
«Non, je ne me suis jamais dit ça! Je suis toujours frustré parce que je sens que je n’en fais jamais assez. Je suis comme ça et c’est pour ça que je suis à la recherche constante d’amélioration. Je pense que je ne pourrai jamais dire “c’est vraiment bien fait”. Parfois, je me demande si c’est mon métier et je suis en train d’évaluer des alternatives à ce que je fais actuellement. Juste pour cette raison, je réalise que c’est absurde, mais je suis toujours très sévère avec moi-même, je suis impitoyable par rapport a mes oeuvres et je suis polémique avec tous et tout.»

Cet coté de ta personnalité se reflète-t-il dans tes sujets?
«Mes sujets ne sont pas contents de ce qu’ils sont. Il y a probablement toute une raison freudienne derrière tout ça, un aspect anthropologique complexe. Je pense qu’il y a eu une sorte d’erreur dans l’évolution de l’espèce humaine:  l’homme a eu un développement du cerveau trop rapide par rapport au reste du corps. Nous pouvons penser l’infini et autres choses très compliquées, paradoxales et difficiles à comprendre complètement, mais nous ne pouvons pas les vivres. Je suis fasciné par les hauts niveaux que l’homme peut atteindre, mais je suis dégoûté par l’aptitude que nous avons tous à ne pas développer ou exploiter notre potentiel. Cette considération se reflette dans les sujets que je dessine.»

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© Robby Rent,
Vedriano (ITA), 2017

Tu sembles être très passionné par la science, n’est-ce pas?
«Quand j’étais enfant, les seuls programmes que mes parents me laissaient voir à la télé étaient des programmes scientifiques, d’où ma curiosité et ma passion pour ces thèmes. La biologie et la science nous permettent de découvrir des choses qui dépassent l’imagination, tandis que la fantaisie est liée à l’expérience, aux images de la culture iconographique dans laquelle nous grandissons et avec laquelle nous sommes élevé. On ne peut jamais imaginer quelque chose qu’on n’a jamais vu.»

Parlons un peu de tes œuvres. À Messine, tu en as créé une en 2015, qui est toujours très actuelle.
«Ce dessin parle de la perception italienne de l’immigration. Les dossier à la télé à propos des migrants omettent souvent de parler des morts. Je me suis donc demandé comment notre société traiterait ces corps. J’ai pensé alors qu’ils seraient considérés comme des rideaux mouillés à sécher, car le seul problème est qu’ils sont mouillés et pas qu’ils sont morts.»

Tous tes sujets sont nus. N’as tu jamais été critiqué pour ça?
«A Messine, il y a eu la réaction d’un homme qui s’est dit scandalisé et mal à l’aise en justifiant la nudité du dessin à sa fille. Comparée à la description que je souhaite faire de l’être humain, la nudité – dans son intégralité, sans censure – veut exprimer l’humiliation que je veux donner à mes sujets.»

Par contre à New York…
«J’aurais voulu peindre cette oeuvre près de Wall Street, mais il n’y avais pas assez de mur, c’est pour ça que j’ai déménagé à Brooklyn. L’idée vient de la combinaison de deux thèmes: le premier est le poids de l’âme. Le deuxième se réfère à l’histoire d’ une association de volontaires de la ville de New York qui travaille pour identifier les sans-abri. J’ai connu l’histoire d’un broker  vivant dans la rue, auquel ils ont trouvé 21$ dans le portefeuille quand retrouvé mort. L’association au 21g qui est censé être le poids de l’âme. Le titre du mur est 1 gramme car, grosso modo, c’est le poids des billets d’un dollar. De plus, le dollar a une valeur hautement symbolique, à tel point qu’il est couramment utilisé comme icône et image synthétique. Ma réflexion est donc née de la question suivante: quelle est l’unité de mesure de notre position sociale? Sommes-nous pesés avec le poids de l’argent?»

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© Robby Rent,
Brooklyn (USA), 2017

Revenons un instant à parler de ta personnalité. Nous savons qu’en plus d’être sensible, tu es aussi sensoriel: est-ce vrai que tu as une collection d’odeurs?
«Une odeur me rappelle et m’évoque bien plus qu’une photo, alors chaque fois que je vais dans un nouvel endroit, j’en cherche une à assimiler à ce nouveau lieu. Il n’est pas nécessaire que ce soit une senteur nouvelle ou typique de la région, je recherche une odeur qui, à l’avenir, représentera pour moi la carte postale de cet endroit. À la maison, j’ai beaucoup de petites boites dans lesquelles je garde ces souvenirs. Le sens de l’odorat, du point de vue biologique, est le seul sens directement lié à la partie la plus animale de notre cerveau, la plus instinctive, à tel point que la mémoire olfactive est la seule qui reste indéfiniment.»

Quelles sont tes prochains projets?
«Tout d’abord, je dois mettre à jour le site, que je n’ai pas changé depuis longtemps, pour le personnaliser. Ensuite, je devrais faire des tirages en collaboration avec David de la Mano

Un nouveau mur? …même si tu n’est pas un artiste!
«Bien sûr! Je voudrais les réaliser avec un thème sur la migration.»

 

© Robby Rent
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Maria Chiara Wang